Peut-être ce jardin n’existe-t-il qu’à l’ombre de nos paupières baissées

    Élise
    Peroi
    • 📅15.10.2022
      11.12.2022

    POLO : Peut-être ce jardin n’existe-t-il qu’à l’ombre de nos paupières baissées, et n’avons-nous jamais cessé, toi de soulever la poussière sur les champs de bataille, moi de marchander des sacs de poivre sur des marchés lointains ; mais chaque fois qu’au milieu du vacarme et de la foule nous fermons à demi les yeux, il nous est donné de nous retirer ici, vêtus de kimonos de soie, pour considérer ce que nous sommes en train de voir et de vivre, pour faire les additions, contempler à distance. (Extrait d’Italo Calvino, Les Villes invisibles, 1972). 

    Les structures installatives d’Élise Peroi sont à la fois peintures, tissages, ou peut-être même encore davantage sculptures… Un peu comme une nature en marche, un jardin debout, rêvé ou phantasmé, écho sensible et volatil aux hétérotopies de Michel Foucault et aux Villes invisibles d’Italo Calvino. Que ce soit dans ses installations architecturées dans lesquelles s’élèvent des constructions porteuses, ou plus récemment à travers ses plans jardins posés au sol tels des tapis à la fois décomposés et recomposés de pièces textiles et matériaux naturels, Élise Peroi ne cesse d’explorer l’art du tissage. Un travail, ou devrait-on dire un regard qui convoque le plein et le vide, toujours en étroite relation avec les éléments qui nous entourent. Le végétal bien sûr, le minéral, l’ombre et la lumière, jusqu’à l’air que l’on respire. Je recherche en même temps la manière de traduire le souffle du paysage et le paysage comme lieu habité, aime-t-elle à préciser. Inspirée du livre Vivre de paysage ou Limpensé de la Raison, de François Jullien elle cherche à traduire une vision englobante du monde, où tout ce qui nous entoure « n’est plus affaire de “vue”, mais du vivre* ». Au cœur du CACC, et en creux du jardin qui l’entoure, Élise Peroi nous propose cet automne une installation paysage, et nous dévoile ses toutes dernières œuvres créées au printemps dernier à l’occasion de sa résidence à l’Academia Belgica, à Rome.

    * François Jullien, Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison, Bibliothèque des idées, Gallimard, 2014.

    Commissaire invité

    Jean-Marc Dimanche

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    breathe in/speak out

    Lecture et visite
    Marielle Macé

    Seuil

    Performance
    Élise Peroi
    Les Anachorèses

    Depuis le début de sa pratique, Élise Peroi, par son travail de tissage et du vide, cherche à traduire ce qui traverse, le souffle, l’atmosphère. Inspirée du livre Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison de François Jullien, elle cherche à traduire une vision englobante du monde, où tout ce qui nous entoure « n’est plus affaire de “vue”, mais du vivre ».

    Son travail, qui laisse paraître des espaces suspendus, renvoie également à la notion du temps, de l’atelier et de l’outil. Traduire ce qui précède la réalisation d’une œuvre renvoie au texte de Paul Valéry, La philosophie de la danse, et conduit à prendre conscience de l’aspect poétique des gestes.

    Lors de sa résidence à l’Academia Belgica au printemps 2022, Élise Peroi a désiré partir du livre d’Augustin Berque, Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, et entrecroiser la notion de paysage et d’isolement en se basant sur trois figures : l’habitant d’une villa, l’anachorète et l’artiste.

    La pièce Anachorèse – villa est pensée sous la forme d’une fresque de paysage qui représenterait la vue sur l’extérieur d’une villa romaine. Cette pièce questionne le paradoxe de l’homme à la recherche d’une forme d’isolement face au monde, un luxe de solitude. Elle parle du lien entre la villa et la pensée du paysage.

    La pièce Anachorèse – mère sur désert est un diptyque composé d’un paysage fleuri aux teintes ocre du désert et de l’image d’une femme dont le visage est recouvert par un tissu au motif floral, renvoyant à l’idée de paysage intérieur. Cette pièce questionne en parallèle la notion de « privation sensorielle », évoquant une forme d’ascétisme au premier temps chrétien.

    L’ensemble renvoie également à l’attitude ambivalente de l’artiste face au paysage, entre figure transmettant et imposant sa propre vision.

    Les villes invisibles

    Si la première salle de l’exposition parlait d’érème, c’est à dire d’une quête d’espaces inhabités, nous rentrons ici dans un mouvement opposé où il est question cette fois de l’intrusion de la nature dans un espace habité, soit écouménal,… la ville.

    Dans son installation Les villes invisibles, Élise Peroi joue du lien étroit qu’entretiennent l’architecture et le textile par leur étymologie commune, teks-. Inspiré du livre d’Italo Calvino qui porte le même titre, l’espace devient ici une ville imaginaire, transparente et volatile comme le mirage de ces cités que Marco Paulo décrit au Grand Khan, à la suite de ses éternels voyages. Au fil de ces paysages urbains, s’élèvent des constructions incertaines et s’éclairent des lunes suspendues, comme dans la ville de Lalage que décrit le livre, et où les habitants viennent suspendre l’astre divin afin qu’il puisse se reposer.

    Plus loin, posée au sol telle une nature morte, Les glanées rassemblent quelques précieux éléments collectés durant les voyages de l’artiste, végétaux, navette en forme de lune confondant le cycle de cette astre au geste du tissage, branche d’argent de mûrier blanc reprenant la cartographie d’un trajet entre la France et le Japon. Ces éléments font cette fois référence au langage sans mots par lequel passe l’échange de Marco et Khan pour décrire avec acuité les espaces traversés.

    Au mur l’œuvre S’attarder en surface représente le contour de ces villes invisibles. Huit cartes tissées, roulées et suspendues, évoquent le souvenir de ces cartes harnachées au corps de l’explorateur lors de lointaines expéditions. Huit marches vers l’ailleurs, qui une fois déployées pourraient reconstituer la cartographie d’un voyage imaginaire.

    Biographie d’Élise Peroi

    Née à Nantes (FR) en 1990, Élise Peroi vit et travaille à Bruxelles (BE). Elle est diplômée de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, d’un Master en Design textile en 2015.

    En 2016, soutenue par les Halles de Schaerbeek, Bruxelles, elle commence à développer des performances qui se nourrissent du tissage.

    L’artiste participe à de nombreuses expositions collectives depuis 2015 tant en France qu’en Belgique (Foresta, Le Bel Ordinaire, Pau (FR) ; Inspire, Iselp, Bruxelles ; Island/ish, Instituto Italiano di Cultura, Bruxelles, etc.). Elle est régulièrement invitée pour des résidences dans le cadre de son travail de plasticienne ou de performeuse : La Bellone, Bruxelles, ; La Serre – arts vivants, Montréal (CA) ; Fédération Wallonie- Bruxelles, Île de Comacina (IT) ; Fap, San Cipriano Picentino (IT), etc.

    Elle collabore avec différents chorégraphes, Mui Cheuk Yin, Louise Vanneste ; dramaturges, Emmanuelle Nizou, Camille Louis, Émilie Martz-Kuhn et musiciens, Roel Dieltiens, Marine Falque-Vert, thomas jean henri. En 2020, elle présente sa première exposition personnelle Proche du Soleil à la galerie Maria Lund à Paris. En 2021, son travail est présenté lors de deux ex­positions personnelles concomitantes à Bruxelles : Là où se trouve la forêt au Botanique et Faire Sillons au Centre Culturel de La Tour à Plomb.

    Au printemps 2022, toujours à Bruxelles, elle réalise une installation Carpe Diem au Centre d’Art ELEVEN STEENS, en parallèle de sa résidence à l’Academia Belgica à Rome.

    Biographie de Jean-Marc Dimanche – Parcours d’art et de matières

    Jean-Marc Dimanche est un directeur artistique sans aucun à priori. Après des études de Pharmacie, il s’est rapidement tourné vers l’Art et la Culture, pour créer dans les années 1990 l’agence V.I.T.R.I.O.L., laboratoire d’idées et de créations spécialisé dans le domaine du Luxe, qu’il a dirigé pendant 20 ans. En 2008, en partenariat avec Florence Guillier-Bernard, il fonde Maison Parisienne, galerie itinérante dédiée aux métiers d’art qu’il quitte huit années plus tard, après avoir organisé plus d’une cinquantaine d’expositions dans diverses capitales européennes. Début 2016, nommé conseiller auprès de Son Altesse Royale la Grande Duchesse Héritière du Luxembourg pour le développement et la transmission des métiers d’art au Luxembourg et en Europe, il crée la biennale De Mains De Maîtres, dont il est aujourd’hui commissaire général. Il dirige également depuis le printemps 2019, date de son ouverture à Bruxelles, ELEVEN STEENS, espace privé dédié à l’Art et à la Matière, ouvert à tous les domaines de la création, que ce soit les arts plastiques, le design, les métiers d’art, l’architecture ou la mode…

    Il collabore depuis plusieurs années à la Revue de la Céramique et du Verre et a participé à la rédaction de nombreux catalogues et livres d’artistes.